L’une de mes sections préférées du majestueux traité de Ludwig von Mises, L’Action humaine (1949), est une section plutôt courte intitulée « La lutte contre l’erreur ». Son thème principal est de montrer comment les problèmes de l’humanité résultent d’erreurs découlant d’idéologies économiques erronées. Il écrit : « L’objectif principal de… l’économie est de substituer des idéologies cohérentes et correctes aux principes contradictoires de l’éclectisme populaire. »

D’une certaine manière, la civilisation peut être vue comme une sorte de pont qui doit être construit et compris avec les matériaux et méthodes appropriés pour durer et poser les bases d’un avenir plus prospère. Une compréhension erronée qui se contente de rafistoler les choses ne fait que retarder une catastrophe future. Mises écrit :

« La pensée logique et la vie réelle ne sont pas deux orbites distinctes. La logique est pour l’homme le seul moyen de maîtriser les problèmes de la réalité. Ce qui est contradictoire en théorie ne l’est pas moins en réalité. Aucune incohérence idéologique ne peut apporter de solution satisfaisante, c’est-à-dire efficace, aux problèmes posés par les faits. Le seul effet des idéologies contradictoires est de dissimuler les véritables problèmes et d’empêcher ainsi les individus de trouver à temps une politique appropriée pour les résoudre. Les idéologies incohérentes peuvent parfois retarder l’émergence d’un conflit manifeste. Mais elles aggravent assurément les maux qu’elles masquent et rendent plus difficile une solution définitive. Elles multiplient les souffrances, intensifient les haines et rendent tout règlement pacifique impossible. Considérer les contradictions idéologiques comme inoffensives, voire bénéfiques, est une grave erreur. »

Mises était donc extrêmement concentré sur les idées et l’éducation. Ailleurs, Mises souligne ce qui devrait être évident :

« Ce sont les idées qui groupent les hommes en factions combattantes, qui leur mettent les armes entre les mains et qui déterminent contre qui et pour qui elles seront utilisées. Ce sont elles seules, et non les armes, qui, en dernière analyse, font pencher la balance. »

Malheureusement, le public – et même la plupart des « intellectuels » – a tendance à considérer l’humanité, à tort, non pas dans « La lutte contre l’erreur » et l’ignorance économique, comme le prétend Mises, mais dans une lutte chimérique contre le « mal » – les individus malveillants ou stupides. En seulement deux paragraphes consécutifs, tel un Jedi intellectuel désarmant calmement toute opposition d’un revers de la main, Mises démonte avec brio les sophismes du « ils sont mauvais » ou de la « folie » qui dominent la plupart des discours, qu’ils soient économiques, scientifiques, historiques, etc., et qui ne peuvent que conduire à un « conflit irréconciliable ». Il écrit :

« Les problèmes en jeu sont purement intellectuels et doivent être traités comme tels. Il est désastreux de les déplacer vers la sphère morale et de se débarrasser des partisans d’idéologies opposées en les qualifiant de méchants. Il est vain d’insister sur le fait que ce que nous visons est bon et ce que nos adversaires veulent est mauvais. La question à résoudre est précisément de savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais. Le dogmatisme rigide propre aux groupes religieux et au marxisme ne conduit qu’à des conflits irréconciliables. Il condamne d’avance tous les dissidents comme des malfaiteurs, il met en doute leur bonne foi et leur demande une soumission inconditionnelle. Aucune coopération sociale n’est possible là où une telle attitude prévaut.

La propension, très répandue de nos jours, à qualifier de fous les partisans d’autres idéologies n’est pas plus répandue. Les psychiatres sont vagues lorsqu’il s’agit de tracer une ligne entre la santé mentale et la folie. Il serait absurde que des profanes s’immiscent dans cette question fondamentale de la psychiatrie. Cependant, il est clair que si le simple fait qu’un homme partage des opinions erronées et agisse en conséquence le qualifie de handicapé mental, il serait très difficile de trouver un individu auquel on puisse attribuer l’épithète de sain d’esprit ou de normal. Nous sommes alors condamnés à qualifier de fous les générations passées, car leurs conceptions des sciences naturelles et, par conséquent, leurs techniques différaient des nôtres. Les générations futures nous qualifieront de fous pour la même raison. L’homme est sujet à l’erreur. Si l’erreur était la caractéristique du handicap mental, alors tout le monde devrait être qualifié de handicapé mental. »

Si vous dites aux « partisans d’idéologies opposées », qu’ils soient socialistes ou capitalistes, sionistes ou antisionistes, pro- ou anti-vax, etc., que – avec les meilleures intentions du monde – ils suivent simplement des idées erronées, vous évitez l’erreur potentielle d’impliquer une malveillance, une conspiration ou une stupidité, et vous leur imposez la responsabilité d’expliquer ensuite la validité de leurs idées.

Mises, intellectuel juif et sans doute le plus grand opposant intellectuel au nazisme – le socialisme – fut presque appréhendé par les nazis alors qu’il fuyait prudemment l’Europe en 1940, lorsque les nazis envahirent rapidement la France et tentèrent d’obtenir sa remise au gouvernement suisse. Mais, indépendamment de la tyrannie nazie, la profonde compréhension du monde de Mises le conduisit à blâmer, non pas Hitler, ni le « mal », ni l’« antisémitisme » ni la « folie », mais les erreurs et l’ignorance économique qui conduisirent inévitablement à une telle tyrannie compte tenu des circonstances historiques uniques de l’Allemagne. Mises conclut :

« Certains psychiatres qualifient de fous les Allemands ayant adhéré aux principes du nazisme et souhaitent les guérir par des traitements thérapeutiques. Nous nous retrouvons ici face au même problème. Les doctrines du nazisme sont cruelles, mais elles ne sont pas fondamentalement en désaccord avec les idéologies du socialisme et du nationalisme telles qu’elles sont approuvées par l’opinion publique. Ce qui caractérisait les nazis, c’était uniquement l’application systématique de ces idéologies aux conditions particulières de l’Allemagne…

Or, quiconque accepte l’idéologie du nationalisme et du socialisme comme vraie et comme norme de la politique de sa nation n’est pas en mesure de réfuter les conclusions qu’en ont tirées les nazis. […] Il n’y a aucun espoir d’éradiquer la mentalité agressive si l’on ne détruit pas complètement les erreurs idéologiques qui la sous-tendent. Ce n’est pas une tâche qui incombe aux psychiatres, mais aux économistes.

L’homme n’a qu’un seul outil pour combattre l’erreur : la raison. »

Cet article a été piblié initialement par Mises institute et traduit en francais par Institute for Economics and Enterprises

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